« C’est Dieu qui veut nous éprouver ! » affirme avec un incroyable culot ce supporter de la Côte d’Ivoire au moment où le capitaine des Éléphants, Didier « Dahizoko » Drogba expédie le ballon au-dessus des buts zambiens.
L’enfant de Niaprahio, village bhété situé au centre-ouest de la Côte d’Ivoire, vient de manquer un pénalty, une occasion toute rêvée d’offrir vingt ans après le sacre de 1992 une seconde Coupe d’Afrique des Nations à son pays où il a influencé de nombreux Ivoiriens qui ne jurent plus à l’époque que par Chelsea – toi, y compris. Vrai influenceur avant la pastille bleue.
La phrase prononcée par ce jeune homme ce soir-là, ce dimanche 12 février 2012, résonne encore dans ta tête comme si tu étais encore au Hollywood Boulevard, « HB » pour les habitués de cet endroit à la mode situé sur la Rue des Jardins, devenu aujourd’hui Bloom. Où jolie nana recherche joli djo. Non, tu ne l’oublieras jamais, ni la tête désabusée de ces malheureux supporters non plus.
Retour sur le jour où Didier Drogba a envoyé le ballon dans l’espace.
VIELLES CONNAISSANCES, GENS ENDIMANCHÉS
LES PLAIES PURULENTES SAIGNENT ENCORE
« Les grandes sont douleurs muettes » paraît-il.
Si la formule usitée est applicable dans la plupart des pays du monde entier, dans le Monde Mondial, la Côte d’Ivoire selon feu DJ Arafat, elle est fausse. Oui, ici, nombreux sont ces fans déçus qui aujourd’hui encore vitupèrent contre « toutes ces coupes d’Afrique que la Côte d’Ivoire aurait dû gagner » !
Il y a eu pêle-mêle : Égypte 2006 et cette finale remportée par le pays organisateur aux tirs au but (4 -2), mais aussi Égypte 2008 et cette demi-finale perdue (4-1) toujours face aux Pharaons et enfin Angola 2010 et ce terrible quart de finale perdu face à l’Algérie (3-2) malgré la frappe monumentale de l’inclassable Kader « Popito » Keïta.
En dépit de ces multiples échecs douloureux, ils sont nombreux à être réunis autour d’une bouteille, d’une table, d’un verre pour supporter la Côte d’Ivoire de Didier Drogba donc mais aussi Yaya Touré.
Dans cet Hollywood Boulevard noir de monde, quelques-uns portent son maillot floqué du numéro 42 de Manchester City. Liquette de la Côte d’Ivoire enfilée, d’autres hommes se sont déjà ainsi sapés pour célébrer la victoire certaine pendant que certaines femmes, maillot noué au-dessus du nombril façon crop top, se fondent dans la masse avec ce visage recouvert de maquillage et d’excitation.
Vieilles connaissances, gens endimanchés, l’ambiance est bon enfant au sein de cette Équipe du Dimanche.
UN PARCOURS DE FUTUR CHAMPION D’AFRIQUE
Au fur à mesure que la salle de quelques mètres carrés, où se concentrent fauteuils rose pâle et chaises avec dos en cuir, se remplit, les oreilles de certains gérants boîtes de nuit se remplissent, elles, de sommes sonnantes et trébuchantes.
Un salon pour l’un, deux bouteilles par-ci, trois bouteilles par-là, on se croirait chez Christie’s pour la vente d’un artiste disparu dont les œuvres s’envolent après sa mort tragique ! Il faut dire que le parcours de la Côte d’Ivoire ne laisse à priori planer aucun doute sur l’identité du futur vainqueur de la compétition.
Entraînée par l’Ivoirien François Zahoui, dont le départ par la suite n’a jamais été vraiment compris par une bonne partie de l’opinion publique, la sélection ivoirienne a remporté ses cinq matches et surtout n’a encaissé aucun but ! Elle est solide à l’image du latéral droit Jean-Jacques Gosso dont les appuis sont plus solides que des fondations d’une maison inachevée.
De son côté, la Zambie est entraînée par l’homme à la chemise immaculée un certain Hervé Renard. Et autour de son équipe, règne une drôle d’ambiance, faite de commémoration et d’envie de bien faire. Histoire de rendre un bel hommage à ces membres de l’équipe nationale zambienne morts dans un crash aérien qui a lieu à quelques encablures du stade d’Angondjé de Libreville. S’entraînant avec le PSV Eindhoven, « le plus grand footballeur zambien de tous les temps », Kalusha Bwalya a échappé à la mort. Le contexte est particulier mais place à la fête.
L’HOMME SANS VIE DE LA RUE DES JARDINS
PETIT GERVAIS OFFRE UN PÉNALTY
L’endroit pue la confiance et les petites odeurs contre lesquelles déodorants et parfums ne peuvent plus grand-chose quand il y autant d’individus au kilomètre carré. Les voix s’élèvent, les blagues fusent sur ces Chipolopolos sous-estimés. « C’est quelle équipe même ? » peut-on entendre.
Puis viennent les premiers cris d’une joie précipitée quand l’arbitre désigne immédiatement le point de pénalty après que Yao Kouassi Gervais dit « Gervinho » soit fauché dans la surface à la 68ème minute.
Avant-bras droit, ensuite avant-gauche, avec le brassard qui l’entoure, Didier Drogba se prépare. Puis, il pose le ballon jaune fluo, remonte ses chaussettes, fait plusieurs pas en arrière. Pensant naturellement exploser de joie, la salle retient son souffle.
L’attaquant ivoirien envoie le ballon au-dessus des buts gardés par Mweene. Lequel vient le narguer aussitôt, pendant que le malheureux avant-centre monte le point de pénalty. Comme s’il accusait le sort d’avoir arbitré en faveur des Zambiens qui remporteront plus tard la séance de tirs aux but (8 à 7).
« C’est Dieu qui veut nous éprouver ! » convaincu qu’après la guerre civile, le « grand barbu » veut mettre encore à l’œuvre un pays qui a déjà souffert.
Au coup de sifflet final, les chaises se vident, les yeux se remplissent.
Et des larmes tracent un sillon arc-en-ciel sur le joli minois de certaines demoiselles. No Make Up Challenge ! Personne n’a compris, ne veut comprendre comment la Côte d’Ivoire a perdu. Tout le monde ou presque est dans le déni. À l’image de cet homme short kaki, tee-shirt blanc qui épouse sa bedaine, yeux hagards, qui saoulé par cet énième désillusion titubait sur la Rue des Jardins le soir où Didier Drogba, « l’un de tes joueurs préférés de tous les temps », envoya le ballon dans l’espace.