« Ballon qui vient de l’adversaire, y a jamais hors-jeu ! » raconte-t-on en Côte d’Ivoire. Énième manière imagée de décrire ces relations hommes/femmes, régulièrement évoquées matin/midi/soir dans ce pays, qui signifie vulgairement que : « Si une femme te déclare sa flamme, tu ne pas dois pas refuser ! »

Bien au contraire. Il faut accepter cette passe décisive, ce caviar. Des caviars, l’Ivoirien Yaya Touré en a beaucoup distribué à Manchester City notamment lors de sa phénoménale saison 2013/2014.
20 buts et surtout 9 passes décisives en 35 matchs, avec à la clé le titre de « meilleur joueur de la saison », chez les Skyblues ! Depuis son départ de « l’autre club mancunien » en 2018, après 8 saisons, le jeu guardiolesque de City est distribué par les milieux de terrain Kevin De Bruyne, Bernardo Silva et plus surprenant encore par le latéral gauche João Cancelo. La magnifique passe décisive qu’il a récemment délivrée à son coéquipier Raheem Sterling n’est qu’un exemple pour illustrer son début de saison canon.
Tellement supersonique qu’il est en train d’inventer une culture, à lui tout seul : la Cancelo culture. Ou l’art de briller sous les feux des projecteurs, et ce quelle que soit la position. Portrait du défenseur portugais, qui aura l’occasion de briller ce soir face au Paris Saint-Germain en Champions League, vainqueur 2 – 0 à l’aller.
CANAPÉ FOOTBALL CLUB
Le samedi après-midi, la tentation est grande de faire autre chose que de s’enfoncer dans le canapé, poser gaillardement les pieds sur la table basse, smartphone en main pour bien faire son nid sur Twitter, avec quelques commentaires, et enfin voir Manchester City dominer outrageusement son malheureux adversaire du jour. Et puis au moment où tu t’apprêtes à renoncer, une petite voix, pour éviter que tu te rabattes sur les highlights, faute d’avoir vu le match en direct, s’écrie : « Vas-y : regarde le match. Fais-le ! » Impossible de dire si l’arrière gauche portugais a, lui aussi, entendu une petite voix. Toujours est-il qu’il a été bien inspiré sur le coup quand il a vu l’appel de balle de son coéquipier maladroit Raheem Sterling, à la 44è minute.
CANCELO RELANCE LE STERLING
Encore « sous le choc » de ce pénalty qui lui a été injustement refusé (?), quelques minutes auparavant, l’attaquant mancunien traîne aux abords de la surface d’Everton, avec envie de bien faire et maladresse collées à son mètre soixante-dix. Les années passent, et le joueur offensif, qui semblait pourtant avoir progressé devant le but, fait encore le mauvais choix. Quelques secondes avant l’ouverture du score, le numéro 7 de City rate son contrôle. Toute heureuse de cette offrande, la défense du second club de Liverpool dégage loin, pense-t-elle. Sauf que le ballon atterrit dans les pieds de João Cancelo. Le numéro 27 mancunien voit son attaquant maladroit, prend l’information, fouette le ballon d’un extérieur du droit : Sterling n’a plus qu’à reprendre le ballon pour tromper son coéquipier en sélection anglaise Jordan Pickford ! À City, Cancelo relance le Sterling. Manchester City 1 – Everton 0. Et dire que le défenseur technique et rapide aurait pu ne jamais réaliser ce chef d’œuvre. Ses mauvaises prestations auraient pu l’envoyer chez les Blaugrana de Lionel Messi, qu’il retrouvera ce soir dans sa zone. Il aurait ainsi connu son 5ème club en cinq années seulement.
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LE TOUR D’ITALIE
Avant de rejoindre Manchester City, à l’été 2019 pour la modique somme de 65 millions d’euros, à peu près le gros tarif habituel pour un défenseur acheté par Manchester City et son entraîneur Guardiola, le natif de Barreiro, située dans la zone de Lisbonne, a été formé à Benfica, prêté à Valence avant de s’envoler pour l’Italie. D’abord l’Inter Milan puis la Juventus Turin.
DÉBUTS DIFFICILES À L’INTER MILAN
« Quand je suis arrivé en Italie, ça été un changement radical pour moi. En effet, j’arrivais d’Espagne, interrogé par Goal, où on met davantage l’accent sur les qualités techniques. Alors qu’ici en Italie, la tactique est la considération est la plus importante. » Doux euphémisme dans ce pays où les entraînements sont très souvent basés sur la tactique.
Mais ce ne sont pas les premiers coups durs de la vie que Cancelo connaît.
Alors qu’il n’a pas encore vingt ans, le jeune homme est victime d’un accident de voiture. Si son frère et lui, légèrement blessés, échappent au pire, sa mère, elle, meurt. Et depuis, il essaie de combler le vide qu’elle a laissé.
HASHTAG ENFANT BÉNI
« J'ai perdu la lumière de ma vie, ma raison de vivre. » aurait-il écrit sur Facebook à la suite de ce drame. Régulièrement, le joueur aux deux millions de followers sur Instagram ponctue ses publications d’un touchant hashtag : ≠mommyblessme. Enfant béni. C’est certainement de ce drame que le joueur de 27 ans tire cette force, cette évidente capacité d’adaptation notamment à l’Inter Milan sous les ordres de Luciano Spalletti.
« À cette époque, Luciano Spalletti m’a beaucoup aidé notamment sur l’aspect défensif de mon jeu. Je tiens à le remercier pour ce qu’il a fait pour moi. Elle m’a permis de rejoindre la Juventus. », toujours au micro de Goal. Fort de cette première expérience italienne, il signe pour à la Juventus Turin pour 40 millions d’euros, à l’été 2018. Cancelo y restera une saison seulement. Là -bas, le futur vainqueur du Scudetto 2019 retrouve entre autres Miralem Pjanić « C’est un joueur le plus intelligent, il sait ce qu’il va faire avant même de recevoir le ballon. Il m’a vraiment impressionné » et son compatriote Cristiano Ronaldo, et ses séances de kiné à 3 heures du matin qu’il faisait à Madrid selon son entraîneur Carlo Ancelotti, « C’est tout Cristiano : le travail acharné, le dévouement, le talent. C’est ce qui fait de lui l’un des meilleurs joueurs de l’histoire de football. »
À la Juventus, sous les ordres de Massimiliano Allegri, avec lequel les relations étaient tendues, le numéro 20 turinois, quand il ne like pas les commentaires négatifs sur son entraîneur grandit néanmoins :
« J’ai beaucoup appris cette année, j’ai vécu beaucoup de bons moments auprès de gens fantastiques et d’amis. Je souhaite rester ici, j’espère que mon futur s’inscrira à la Juventus, où j’espère remporter de nombreux trophées. », déclare-t-il quelques mois avant de rejoindre la Premier League. Cadeau pour la Video Assistant Referee ou VAR.
MINISTRE DE L’INTÉRIEUR & DE L’EXTÉRIEUR
L’arrivée à Manchester City, et sa concurrence exponentielle, dans un drôle d’échange avec Danilo, qui fait le chemin inverse, a de quoi soulever un certain nombre de questions. D’un extérieur du pied droit, le défenseur polyvalent les balaie : « Je suis venu pour Guardiola, sa philosophie et les projets qu’il a pour moi m’ont plu. » Et le moins qu’on puisse dire c’est que l’entraîneur chauve espagnol en a plein pour lui ! Après les expériences réussies avec Philipp Lahm, Joshua Kimmich, le catalan veut en faire un autre défenseur latéral/milieu intérieur/milieu défensif.
KYLE WALKER LUI TIRE DANS LES PATTES
Les qualités offensives de Cancelo, sa technique et ses centres précis, etc. Tout indique que la greffe doit et va prendre. Tout sauf la volonté d’un irréductible anglais un certain Kyle Walker. L’international anglais lui barre complètement la route. Résultat : 18 titularisations seulement, pour le nouvel arrivant ! Et un entraîneur imperturbable au moment de lui indiquer la sortie, durant une conférence de presse, au début du mois de Janvier 2020 : « Quand Cancelo joue, il joue bien. Il a des qualités, il fait ses 2 ou 3 passes décisives. C’est un garçon…mais il doit décider de ce qu’il veut faire. S’il veut rester ici à se battre avec nous ou non. » Pourtant, c’est le même qui l’a utilisé à plusieurs postes…
Depuis, João Cancelo a fait son choix – celui de rester à City - et surtout bien digéré les préceptes de guardiolisme, cette polyvalence et cette intelligence de jeu dont chaque joueur doit faire preuve.
INTÉRIEUR, EXTÉRIEUR
Définitivement positionné sur le flanc gauche, que le champion du monde Bernard Mendy, incarcéré pour une sombre affaire de viols, occupait autrefois, le défenseur droitier plonge régulièrement à l’intérieur, au cœur du jeu. Là -bas, il crée le surnombre, mélange les plans de l’adversaire démuni, mais également offre une solution supplémentaire à ses défenseurs centraux et/ou milieux de terrain. Les premiers peuvent évoluer à trois derrière par exemple pendant qu’avec Rodri, il constitue un double pivot, un premier rideau défensif. D’ailleurs, dans une Premier League physique, où des arbitres sifflent rarement selon la légende, le joueur fin aux 74 kilos est plutôt solide défensivement puisqu’il remporte quasiment un duel sur deux : 48%, pour être précis, selon la superbe application One Football. Ensuite, il peut étaler son répertoire de passes (86% de passes réussies par match, toujours selon la même application).
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Brossées, courtes, mais aussi longues, lobées, etc. Cancelo peut déposer le ballon dans la course d’un Bernardo Silva, qui plonge discrètement derrière les défenseurs (Manchester United), ou plutôt allonger la course d’un ballon d’un de ces extérieurs du pied dont il a secret. Luka Modrić, ministre de l’extérieur, n’a qu’à bien se tenir !
Quand il ne délivre pas de passes de décisives (déjà 6 depuis le début de cette saison !), le défenseur latéral/milieu intérieur/milieu défensif profite des fausses pistes d’un Phil Foden pour marquer. De l’extérieur, de la surface, forcément.
Interrogé dans une vidéo Made In Man City, sur son début de saison en fanfare, le footballeur tatoué au dégradé impeccable sort des phrases sibyllines : « Peu importe ce que l’entraîneur attend de moi, j’essaierai de faire de mon mieux, faire de mon mieux pour aider l’équipe. » Puis, il poursuit son propos sur sa polyvalence : « J’ai grandi en jouant arrière droit. Mais j’aimerai bien être polyvalent et durant de nombreuses années, nous avons eu beaucoup de blessés. J’aime être proactif dans l’équipe, j’aime m’adapter quelle que soit la position dans laquelle le coach me met [sur le terrain, NDLR]. » Avant de reconnaître le rôle de son entraîneur actuel : « Pep m’aide beaucoup dans cet aspect de mon jeu. Aujourd’hui, je sens que je suis un meilleur joueur mentalement, physiquement et tactiquement. »
Proche de Ronaldo, ce père d’une petite fille, « heureux de jouer dans plusieurs positions », a pour idole Daniel Alvès. Pour lui, le Brésilien sorti de sa retraite pour aider un Barça sans idées est « […] une référence, sans hésitation. […] Je le suis depuis l’époque où il jouait pour Séville, il a laissé son empreinte dans l’histoire du football et je suis persuadé que lorsqu’il prendra sa retraite, il deviendra une légende. »
Depuis cet interview qui date de 2019, Alvès a été effectivement élevé au statut de légende, avant de retourner à Barcelone après y avoir joué de 2008 à 2016.
Privé à cause du COVID-19 d’un Euro 2021, où sa fantaisie et ses prises de risque, auraient déridé un Portugal au jeu trop stéréotypé, João Cancelo, lui, écrit son histoire : la Cancelo culture. À des années-lumière de la cancel culture, et ces personnalités publiques ostracisées après l’apparition ou la réapparition d’affaires sordides (R. Kelly dont les chaînes YouTube ont été retirées, après qu’il ait été reconnu coupable d’agression sexuelle.)
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Ce soir peut-être, pendant qu’il évoluera dans cet Etihad Stadium où il a brillé le week-end dernier, certains diront : « Ballon qui vient de Cancelo, y a jamais hors-jeu ! »