« […] La chose la plus difficile que nous ayons, c’est que nous étions seuls, s’exclame Max-Alain Gradel, face à notre destin. Nous étions pris entre le choc de la défaite [4 à 0 contre la Guinée équatoriale] et celui de la colère de nos supporters. En dehors de nos familles, tout le monde nous avait tourné le dos. Plus personne ne cherchait à nous rencontrer, à nous appeler où même à prendre de nos nouvelles. M. Idriss Diallo nous demandait de garder la foi, de s’accrocher à la petite lueur d’espoir, de qualification qui existait. […] » Extrait du discours solennel prononcé par le capitaine des Éléphants de Côte d’Ivoire, néo-champions d’Afrique depuis le 11 février dernier.
Des supporters, des internautes, beaucoup de personnes se sont alors familièrement demandé : « C’est quel discours Gradel est en train d’envoyer là ? » Ou plus simplement : « C’est quelle discorde il est en train de créer là ? »
Alors que d’autres se demandaient encore : « Qui a mis huile sur riz de Zaha ? », certains souhaitent savoir : « Qui a écrit le discours ? » Comment l’expérimenté capitaine de la Séléphanto a pu s’adresser ainsi à des compatriotes qui ont souvent remué ciel et terre pour pouvoir obtenir un ticket ?
Et si depuis il a présenté des excuses à ceux qu’il a offensés, l’histoire retiendra qu’il a d’abord envoyé discours. Plus de détails, par ici.
LA CAN 2023 EN POCHE, QUI VA ENVOYER DISCOURS MAINTENANT ?
L’horloge du stade Ebimpé, plein à craquer, avec ces marches sur lesquelles des spectateurs se sont assis faute de place, affiche 21 heures et 58 minutes quand M. Dahane Bedia, l’arbitre de cette finale Nigéria – Côte d’Ivoire siffle enfin la fin de la rencontre. Le stade Alassane Ouattara, ou « Stado » pour les initiés, explose.
On se saute dans les bras, se congratule, se fait des atou[1]. Tout le monde, il est heureux !
Une fois, l’étape du pèlerinage retour passée, avec son lot d’embouteillages pour la plupart, moins pénibles à supporter avec le goût mielleux de la victoire en bouche, une fois Ebimpé derrière, certains ayant préféré le bus retrouvent leur voiture garée au point de ralliement. Avant d’y aller, d’autres se restaurent, boivent, discutent, débriefent. Dans ce fast-food situé quelque part à la Palmeraie, et sa décoration façon restaurant américain avec ses sièges qui font face à une cuisine américaine, et son propriétaire un peu trop sur les nerfs, personne ne réalise encore ce qu’il a vécu : les Éléphants de Côte d’Ivoire, au bord de l’élimination, sont champions d’Afrique. Alors forcément, ça descend en coup du marteau ; hymne officieux de la CAN 2023 depuis devenu hymne à la joie.
Trompettes et klaxons de voitures qui roulent à une certaine allure ramènent de temps à autre tous ces doux rêveurs sur terre. Idem pour ces jeunes hommes surexcités qui parlent à voix haute, mélangent onomatopées et cris de guerre. Si fort qu’on n’entend plus le crépitement des morceaux de charbon qui braisent les derniers poissons et poulets commandés par des retardataires dont le ventre crie famine.
Ce soir, personne n’envoie discours. Ce soir, Abidjan célèbre ces champions d’Afrique. Finis les palabres, bonjour la paix. Enfin ça, c’était avant que Max-Alain Gradel ne s’exprime de cette manière.
APRÈS LA CAN 2023, AINSI PARLA MAX-ALAIN GRADEL
Le plus dérangeant dans le discours prononcé par Max-Alain Gradel démarré par des salutations « en vos rangs, grades et qualités », avant la citation d’un proverbe japonais, ce n’est pas tellement qu’il en fait un. Mais c’est plutôt son contenu et les personnes visées.
Comment peut-on autant nier le dévouement de personnes qui ont tout fait pour aller les supporter ? Quitte à se lever pour acheter ticket de 5 000 à 99 millions, après avoir fait le pied de grue devant un bureau de la Poste.
Quitte à partir en bus, en convoi ou encore même dans de véhicules de parfaits inconnus, contre rémunération bien sûr (25 000 francs CFA parfois) qui n’avaient d’autre que comme identité : celle de supporter de la Côte d’Ivoire.
Que ce soit au stade Charles Konan Banny, à Yamoussoukro où nous étions un peu plus de 19 000 personnes ou encore au stade de la Paix, à Bouaké, où il y avait 39 836 spectateurs qui ont assisté au second miracle ivoirien ou plus récemment où 51 020 spectateurs ont vu la Côte d’Ivoire composter son ticket pour la CAN 2023, avec toutes « Les 9900 là même, ça suffisait pas ! », a admis ce chauffeur VTC qui ce fameux-là, ce mercredi 7 février, était parmi les victimes impuissantes sur l’échangeur Y4.
Pour rappel, il s’agit d’une voie de contournement d’Abidjan qui part notamment de l’aéroport Félix Houphouët-Boigny jusqu’à Ebimpé. Cimetière des Éléphants autrefois depuis redevenue depuis « terre d’espérance avec ces légions remplies de vaillance qui ont relevé sa dignité ».
Comment Max-Alain Gradel a-t-il pour oublier ces laissés pour compte, ces fans qui faute de ticket ont opté pour des fans zone ou plutôt le salon pour regarder leurs pachydermes préférés ?
Comment a-t-il pu autant taper poteau, se tromper ? Aux dernières nouvelles, ce ne seraient pas ses propos mais plutôt ceux de quelqu’un qui chercherait à se faire apprécier par l’opinion publique. CQFD.
L’EAU VERSÉE PAR TERRE, MAX-ALAIN GRADEL ESSAYE DE LA RAMASSER
Depuis son discours au palais présidentiel, le numéro 15 des Éléphants, remplaçant au début de la compétition et titulaire depuis la prise en main d’Emerse Faé et Guy Demel, a présenté des excuses :
- sur son compte Facebook,
- mais aussi sur le plateau de la Radiotélévision Ivoirienne ou RTI.
« Effectivement, je pense que concernant ça, répond à la question du journaliste sur le soutien des supporters, lors de mon discours à la Présidence…mon discours était plus accentué sur le soir où est-ce qu’on avait perdu 4 – 0, où je disais qu’on s’est senti seul. Mais ça ne reflète pas la mobilisation de tout le peuple parce que ça s’est vu même après chaque match. J’ai pas manqué de souligner l’apport du peuple, des supporters… »
Avant de poursuivre : « Effectivement donc pour dire que si mes propos n’ont pas plu, ont été mal interprétés, je présente mes excuses. Mais je pense que ça faisait juste allusion à la soirée qu’on a vécue et ce qui est tout à fait normal : le peuple n’était pas content. Mais franchement, on a senti que c’était la meilleure CAN ! Parce que tout le peuple s’est levé. Et même pour le match contre le Mali, je n’ai pas manqué de dire : " On était à dix, on n’a pas senti qu’on était dix. Parce que le peuple s’est levé…ʺ […] Vraiment merci à toute la Côte d’Ivoire. »
Nous aussi, nous nous sommes sentis seuls sur le chemin retour après mise par la Guinée équatoriale et Emilio Nsué, qui a révélé les raisons de sa récente exclusion, quand les navettes spéciales qui desservent peu de quartiers étaient prises d’assaut, quand le gaz lacrymogène utilisé pour disperser des jeunes gens en colère piquait les yeux, quand il a fallu courir pour éviter de se faire charger par cette même foule fâchée, etc.
Nous nous sommes sentis seuls, aussi. Mais ce n’est rien, absolument rien par rapport à cette maman qui a perdu son fils ce même soir-là.
Après que la vidéo soit devenue virale, elle a donc reçu la visite de Max-Alain Gradel, qui avait déjà tendu la main à un jeune vendeur d’eau dont le combat quotidien pour s’en sortir avait ému la toile et Brut.
À quelque chose malheur est bon.
Dommage que Max-Alain Gradel ait d’abord envoyé discours : « […] La chose la plus difficile que nous ayons, c’est que nous étions seuls, s’exclame Max-Alain Gradel, face à notre destin. Nous étions pris entre le choc de la défaite [4 à 0 contre la Guinée équatoriale] et celui de la colère de nos supporters. En dehors de nos familles, tout le monde nous avait tourné le dos. Plus personne ne cherchait à nous rencontrer, à nous appeler où même à prendre de nos nouvelles. M. Idriss Diallo nous demandait de garder la foi, de s’accrocher à la petite lueur d’espoir, de qualification qui existait. […] »
[1] Accolade.