« Pour avoir nourriture aussi, c’est comme ticket. », plaisante ce monsieur chauve vêtu d’un maillot Orange ; celui des Éléphants de Côte d’Ivoire en attendant que sa commande soit prise. Il fait partie des élus, « des enfants préférés de Dieu » : ceux qui ont eu la chance de faire partie des 57 094 spectateurs présents au stade Alassane Ouattara avec cette billetterie plus aléatoire que la loterie.
Alors forcément, il sait de quoi il parle. Il fallait y être au « Stado » (contraction de Stade et Alassane Ouattara) ce dimanche 11 février 2024. Ce jour où la Côte d’Ivoire a décroché une nouvelle étoile, après remporté la guerre de trois. Jour de fête.
AVANT QUE LA CÔTE D’IVOIRE NE JOUE, LES NERFS SONT TENDUS
La très mauvaise expérience que certains ont vécue, avec la demi-finale Côte d’Ivoire – République Démocratique du Congo suivie depuis leur véhicule coincé dans des embouteillages monstres & (bonne) Cie, a servi de leçon à d’autres.
Ceux qui ont décidé – comme nous – d’emprunter un car plutôt que de se rendre avec sa voiture. L’homme prudent voit le mal de loin.
Au loin, une fois le trajet express effectué, on aperçoit le stade olympique d’Ebimpé et surtout les premiers spectateurs qui viennent par vagues, par packs de six, huit, etc. Histoire de déverser une marée Orange sur le Nigeria. Orange Is The New Black.
EAU SECOURS
Premiers arrivés, premiers servis par des jeunes hommes et femmes débordés par les commandes. Très vite, dans les différents points de vente épousant la forme circulaire du stade, il n’y a plus d’eau, ni tous les jus inscrits sur les menus plastifiés. C’est qu’il y en a du monde aujourd’hui au Stado.
Ainsi dans les allées, déambulent des amis qui ne se sont pas vus depuis, tapent la bise lorsqu’ils se rencontrent. Quand ils ne se prennent pas dans les bras.
Et pendant ce temps-là, rares sont ceux qui en ont encore plein le dos des flocages tous plus originaux les uns que les autres. Petit défilé d'une mode.
QUI VA À LA CHASSE PERD SA PLACE
Dans les travées, c’est une tout autre histoire, peu de temps avant que la cérémonie de clôture avec Alpha Blondy qui ouvre le bal des artistes, suivit par Roselyne Layo, Serge Beynaud, Didi B, Tam Sir, on the beat, et la Team Payia, des fans ont la bonne idée de disputer.
Devant nous, dans le bloc 113, un jeune homme aux faux airs de Trevante Rhodes, accompagné de sa compagne, réclame qu’on lui restitue sa place qui est occupée par une autre personne.
Gbagbo, serviette blanche donc autour du cou, le fautif ne cède pas. Les minutes passent, les langues se délient, des tête-à-tête en veux-tu, en voilà sans qu’on sache qui paie le premier date.
Les différentes interventions des volontaires et stadiers, tantôt pacifiques, Océan, tantôt énergiques, n’y changent rien.
Finalement, le détournement d’attention pour poser les yeux sur la cérémonie d’ouverture calme les hostilités dans ces travées-là du moins. Tandis que dans d’autres blocs, des spectateurs sont assis sur les marches, des fans nigérians, ne parlant pas français, comptent sur une âme charitable pour les aider à trouver leurs places prises d’assaut par des personnes qui auraient forcé leur entrée dans le stade selon nos informations en forçant les tourniquets.
Ces nerfs tendus, Victor Osimhen et le Nigéria les ont eus aussi avant de craquer ; eux qui avaient pourtant ouvert le score à la 38ème minute de jeu par leur capitaine Troost-Ekong.
LE NIGERIA MÈNE LA CÔTE D’IVOIRE CONTRE LE COURS DE JEU
Avant cette fameuse 38ème minute de jeu, d’un match disputé, la Côte d’Ivoire domine. Disposée en 4 – 1 – 4 – 1, la Séléphanto domine les débats physiquement notamment avec pour symbole le duel entre Victor Osimhen et Evan Ndicka ; qui l’a mis dans sa poche.
26ème minute de jeu. Discours, petit palabre, entre les deux joueurs évoluant dans le Calcio. Osimhen semble se plaindre d’un coup de coude qu’il aurait reçu en plein duel aérien tandis que Ndicka lui condamne avec la dernière énergie onusienne ces accusations.
S’inspirant de son joueur vedette, José Peseiro, le coach portugais des Super Eagles, reçoit un carton jaune pour l’ensemble de sa performance.
D’ailleurs, à de multiples reprises, l’homme en veste, jeans et sneakers de ville, bien aidé par son staff, passe le plus clair de son temps à pester contre l’arbitrage et ses joueurs qui sont méconnaissables et nerveux. Et pourtant, la frappe de Seko (13ème minute), le retourné de Gradel (20ème) et enfin le face-à-face de Simon Adingra n’ont pas encore fait céder la défense nigériane dirigée d’une main de fer, ce qu’il veut, par Troost-Ekong.
Sur un corner prolongé, Troost-Ekong, et ses 191 centimètres, prend le dessus sur Serge Aurier qui culmine à 1m74.
Du stade, la différence est encore plus palpable et le résultat forcément implacable. Nigeria 1 – Côte d’Ivoire 0. C’est le même qui avait inscrit le but victorieux lors de la rencontre de poule.
Les « Levez-vous, levez-vous », nouveau chant de supporter débloquer, en pleine finale, ne résonnent plus dans le stade garni. Les cerveaux des plus inquiets carburent à l’unisson.
Des supporters nigérians, eux, font péter le son, appellent leurs amis noyés dans la foule pour s’auto-congratuler.
HALLER-LÀ, LA CÔTE D’IVOIRE EST CHAMPIONNE D’AFRIQUE
Depuis la qualification obtenue via la victoire du Maroc sur la Zambie, un premier signe, puis le coup du marteau sur le Sénégal et ensuite le second miracle ivoirien face au Mali, les Ivoiriens certes savent que leur équipe a les ressources morales mais cela ne les empêche absolument de stresser surtout quand le chronomètre de M. Dahane Bedia file.
La seconde mi-temps démarre comme la seconde avait commencé : la Côte d’Ivoire attaque et le Nigeria défend plutôt bien d’ailleurs puisque Nwabali plonge bien sur la tentative de Max-Alain Gradel. Avant d’aller s’embrouiller inutilement avec Serge Aurier.
Les deux joueurs sont avertis. Mais ça ne les empêche pas de continuer à s’invectiver. Troost-Ekong a beau tenter de calmer les nerfs de son gardien, il n’écoute pas tout de suite mais finit par se calmer.
Le calme, c’est Franck Kessié qui le lui apporte à la 63ème minute de jeu.
Dépassement de fonction d’Odilon Kossounou, lui aussi impérial hier soir, qui avance, avance avant de voir sa frappe détournée en corner. Sur l’action qui suit, le corner donc, Simon Adingra, en feu lui aussi, trouve Franck Kessié. La panthère de Zebizekou, village du centre ouest de la Côte d’Ivoire, met encore une fois sa patte sur la rencontre avec une égalisation de la tête, cette fois-ci. Nigeria 1 – Côte d’Ivoire 1.
Franck Kessié court vers les supporters pour célébrer avec sa marque de fabrique, et son salut militaire ; hommage à son père décédé.
Maintenant, José Peseiro a des raisons de s’agiter dans son rectangle vert.
80ème minute. Simon Adingra dans ses œuvres, à tel point qu'il a été élu homme du match puis meilleur jeune de la compétition, dépose Aina avant de centrer. Sébastien Haller, s’est déjà procuré des occasions pendant le match, sait qu’il ne doit pas manquer celle-ci. Alors, l’avant-centre tressé passe devant Troost-Ekong, lui grille la politesse avant de dévier le ballon d’un geste zlatanesque : une déviation en extension. Nigeria 1 – Côte d’Ivoire 2.
Ebimpé explose une première puis une seconde fois au bout d’un long temps additionnel, les 7 plus longues minutes de ta vie, l’arbitre siffle la fin de la rencontre. La Côte d’Ivoire remporte ainsi la guerre de trois, face à un Nigeria qui en a trois dans sa vitrine, et décroche ainsi sa troisième étoile.
Certains pleurent, d’autres encore s’agrippent si dangereusement à la rambarde, qu’ils créent une petite frayeur chez les autres. Plus de peur que de mal. L’agité en rouge et noir, façon NST Cophie’s a fini de réciter son alphabet musical. Avant que le DJ du Stado ne prenne le relais : Coup du marteau sur nous, Bab Lee sous les cocotiers aussi, etc.
Ça coupe, ça décale dans les travées qui sont moins encombrées, avec des spectateurs partis avant les célébrations que des politiciens se sont un peu trop accaparé. Personne par contre ne « vole » la célébration des joueurs, des champions d’Afrique ivoirien qui font le tour du stade.
Et pendant ce temps-là, Kader Keïta lui porte en triomphe Emerse Faé.
Si on t’avait dit après la déculottée prise face à la Guinée équatoriale, avec cet Emilio Nsué, récompensé par son titre de meilleur buteur, avec un compteur bloqué à 5 buts, après l’élimination de son équipe nationale, que c’est lui, Emerse Faé, l’homme qui a du arrêter sa carrière à 28 ans pour cause de phlébite, tu aurais : « Tu mens, c’est faux ! »
Si on t’avait dit que la Côte d’Ivoire, défaite, tapie dans l’ombre mais qui a quand même offert son hospitalité à toutes ces équipes, dont la plupart des ressortissants vivent ici, aurait remporté la CAN 2023, tu aurais dit : « Tu mens, c’est faux ! »
Si on t'avait dit que le public ivoirien a scandé le nom de Victor Osimhen après l'avoir chahuté pendant le match, alors qu'il attendait sagement la remise du trophée, tu aurais dit : « Tu mens, c’est faux ! »
Tu aurais redit la même chose si quelqu’un d’autre t’avait : « Pour avoir nourriture aussi, c’est comme ticket. »